Lucile Boiron, Womb, 2019

©Lucile Boiron, Womb

Lucile Boiron, photographier les effluves organiques

"Womb" : métaphores de l'intérieur

C’est notre quotidien avec lequel l’on vit tous les jours, et qui pourtant nous reste invisible. On ne veut pas le voir, que les gens vieillissent et que les corps se déforment. Que les rides se creusent, et les cheveux grisonnent. Tout en détournement des chairs, et en mise en lumière des aspérités du temps, les photographies de la jeune artiste Lucile Boiron semblent plus crues que vraies. Cela résonne d’autant plus pour sa série “Womb”, parue en livre en 2019, aux éditions Libraryman, et pour laquelle elle a reçu un prix.

Le clin d'oeil baudelairien

Livre de Lucile Boiron, Womb, édité chez Libaryman, 2019
Livre de Lucile Boiron, Womb, édité chez Libaryman, 2019
Lucile Boiron, Descorps, Womb, 2020
©Lucile Boiron, Womb, 2019

“Womb” en anglais, c’est l’utérus, la matrice, les entrailles. C’est le début de la vie, l’intériorité cachée, sanguinolente mais adulée. Sauf qu’ici l’artiste Lucie Boiron renverse le dedans et le dehors. Les fruits sarcocarpes évoquent ce qu’on ne peut voir sur nous-mêmes. Ce qu’on ne veut voir surtout. La métaphore est explicite, dérangeante dans sa crudité, ressemblante par sa proximité. 

 

Lucie Boiron artiste, Womb Descorps
©Lucile Boiron, Womb, 2019
Lucile Boiron, Womb, 2019
©Lucile Boiron, Womb, 2019
Lucile Boiron, Womb, 2019
©Lucile Boiron, Womb, 2019

Avec une manière baudelairienne de sublimer l’indicible, Lucile Boiron nous conte dans ses photographies la matérialité du corps. Sa porosité, sa viscosité, l’éphémère de la vie et la mort côtoyée. C’est ça qui nous saute à la gorge. Sauf qu’au contraire de Baudelaire, ce n’est plus la charogne qui s’enivre de beauté, mais bien la fugacité du vivant. 

L’objectif de la caméra se transforme en loupe de microscope. On se tient tellement proche de ces chairs exhibées que ça en devient presque dérangeant. À force de regarder de trop près, impossible d’oublier sa propre mortalité. C’est un Memento Mori des temps modernes que Lucile Boiron capture pourtant avec douceur.

Lucile Boiron, Womb, 2019
©Lucile Boiron, Womb
Lucile Boiron, Womb
©Lucie Boiron, Womb

Sauf que Baudelaire et sa charogne subliment la mort pour nous rappeler la beauté de la vie. Le dégoûtant devient affriolant, la mort devient presque vivant. Chez Lucile Boiron c’est similaire mais différent. Le quotidien ; ses textures, ses plis et ses nervures se muent en métaphores de notre fragilité. Le quotidien sublime la vie, l’organique transcende l’humain.  

Arrêt sur le temps

Les rides sont capturées, la moiteur est exhibée, le sang coule et le temps avance. On est perturbé·es, un peu quand même, de voir une figue devenir entrailles, du jambon devenir peau ; de constater que le quotidien dégouline d’éphémère tout simplement. Le charnu rencontre l’acéré, dans un mélange des contraires qui met si bien en avant l’essence même de la vie. Et ce sang qui coule, et ces veines qui surgissent de l’intérieur, se tapissent dans ces corps finalement si fragiles. Ils deviennent les échos de notre vanité.

Lucile Boiron prend en photo des narines ensanglantées
©Lucile Boiron, Womb, 2019
Lucile Boiron, Womb, 2019
©Lucile Boiron, Womb, 2019
©Lucile Boiron, Wombs, 2019
©Lucile Boiron, Des Corps, Wombs, 2019
©Lucile Boiron, Des Corps, Wombs, 2019

C’est un regard enfantin que pose Lucie Boiron sur ces femmes dans sa vie qui deviennent sa prose photographique. Rides, cicatrices, varices, ce sont les mots de la vie qui s’exhibent sur la toile de la peau. C’est ça que capture la photographe : la singularité des histoires, le dessous de la surface, les tréfonds du caché. C’est le palimpseste des jours qui passent, qui recouvrent les marques déjà existantes, qui font ressortir les nouvelles cicatrices et les nouvelles blessures qui se retrouvent devant nos yeux. Dérangeant à regarder, douloureux à prendre en compte. 

©Lucile Boiron, Womb, 2019

Les petits riens du quotidien se transforment à eux tout seul en rappels du temps qui court. Impossible de sortir de ces gros plans de manière indemne. Ils sont nécessaires, comme une piqûre de rappel à s’administrer tout·e seul·e pour se rappeler que c’est l’éphémère qui nous entoure de ses bras. Ce qui dégouline, qui croque, qui flétri ; le visqueux, le collant, le gluant ; tout se mélange sous des airs de normalité. C’est à cet instant qu’intervient le cadrage rapproché de la photographe : impossible d’échapper.  Impossible de ne pas comprendre les métaphores, les similitudes, les affinités et plus inéluctables. C’est notre finitude qui est mise en scène, qui prend vie surtout. Devant leur vie qui se fige, on prend conscience que c’est la nôtre qui file. 

Lucile Boiron
Lucile Boiron, Womb,
Emma

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