Ce soir, ma colocataire doit retrouver son chéri. Rien d’anormal me diriez-vous. Sauf qu’avant de passer le pas de la porte, elle tenait ABSOLUMENT à se raser les jambes ENTIEREMENT. Son uber est sur la route, mais tant pis. Entre enfilage de la jambe gauche dans son jeans taille haute slim, et dextérité de la main droite pour raser sa cuisse, la voilà sautillant à moitié habillée dans sa chambre. Bien sûr la scène est comique, et j’ai beau lui dire que ses jambes poilues ne vont pas être la cause d’une rupture apocalyptique, elle ne veut rien entendre.
Je sors mon arme ultime en lui demandant pourquoi son mec, lui, ne s’épile ou ne se rase jamais les jambes.
Elle ne sourcille pas et me dit qu’elle, ça ne la dérange pas ses poils, à lui, et même qu’elle les aime bien. Et que là elle n’a pas le temps mais que normalement elle va chez l’esthéticienne pour s’épiler, et que de toutes les façons, il est d’accord pour payer la moitié des frais engendrés. Entendez-vous donc cela ! Son mec, entièrement poilu, veut bien contribuer à ce que sa chère et tendre se ruine en peu moins dans cette entreprise de souffrance pour être (plus) belle. Ce qui me choque, c’est que ce n’est pas la première copine qui me dit que son mec a la gentillesse de proposer de payer la moitié de ces fameuses épilations.
Derrière la bonté, le patriarcat
Quelle perle ce garçon, rempli d’attention et de compréhension quant au fait que, oui ça coûte cher d’être une femme, entre le coût des protections hygiéniques et la fameuse « taxe rose », pour ne citer que ça. Mais après notre premier sourire de compassion un peu gêné, que peut-on vraiment dénicher derrière cette proposition ?
Sans parler du fait qu’il est questionnable de ne pas oser se montrer – et encore moins de se faire toucher – quand on est poilu.e, quel est le rapport qui s’instaure entre ces deux personnes lorsque l’une paye le fait de faire enlever les poils sur le corps de l’autre ? Surtout quand ce dernier ne procède pas à la même opération douloureuse sur son propre corps. L’assouvissement de ce voeu de non pilosité – sans parler de la pression sociale qui fait que les femmes se sentent obligées d’être aussi lisses que si elles sortaient des pubs Vénus – n’est pourtant pas intrinsèque au genre féminin. Une paire de seins, pas de poils, voilà le combo-breaker des cases à remplir pour être une femme, une « vraie », féminine et aux cheveux longs et aux poils inexistants. Si le budget épilation est prélevé sur le compte en commun, ou que Monsieur paye une séance sur deux, que peut-il attendre de sa dulcinée ? Ou plutôt, que pense t-il qu’il soit en droit d’attendre d’elle ? Car s’il est prêt à payer, c’est bien qu’il veut garder la mainmise sur sa douce – pour qu’elle reste douce, justement.
Droit d’entrée et choix des options (non)poilues
Cette amie m’expliquait expressément que se faire épiler intégralement le maillot coûtait cher, très cher – un menu entrée-plat-dessert dans un bon petit restaurant français pour vous donner une petite idée – et que son copain était vraiment un coeur. Il avait l’amabilité de bien vouloir sortir de sa poche la moitié, ça lui permettait de moins se ruiner.
Sauf qu’en fait, s’il paye cela, n’est-ce pas parce que c’est LUI qui désire avoir sous sa main le plaisir d’une peau lisse ? Parce qu’avouons-le, ce n’est pas très agréable de montrer ses poils afin de se les faire arracher d’un coup sec et précis.
Moitié de l’argent, compromis sur la quantité de poils restants.
Un peu comme si, plus il rajoutait quelques euros dans la tirelire des épilations, plus il avait le droit de choisir ces options « épilation ». Le « je paye la moitié, si tu veux » devient un « je paye la moitié, pour que tu fasses ce dont j’ai envie de tes poils. »
Car payer la moitié, revient en quelque sorte à investir un peu d’argent dans l’espoir d’avoir un retour gagnant – lisse, doux et scintillant. Imaginons que mon amie ne veuille pas aller se faire arracher les poils de toutes les parties de son corps car ça coûte trop cher et qu’elle préfère boire une pinte – voire même plusieurs – avec cet argent là. Si son mec propose de payer la moitié, car, lui, c’est un goodguy, comment peut-elle refuser ? Au lieu de boire six pintes, elle n’en prendra que trois, mais au moins ses jambes seront douces et soyeuses, mais surtout, elle aura fait plaisir à son mec. Proposer de payer, revient en quelque sorte à contraindre moralement la personne d’y aller puisque l’excuse de l’argent ne fonctionne plus. Sauf que sous cette excuse monétaire se cache souvent – pour mon amie en tout cas – une raison plus personnelle : elle n’a tout simplement PAS ENVIE de se faire enlever tous ses poils.
Le poilwashing
Payer pour perpétuer le culte de la peau lisse féminine, revient à légitimer les stéréotypes féminins qui enferment et oppressent. Bien sûr, chacun·e est libre de faire ce qu’il ou elle veut de ses poils, et tant mieux si certaines personnes aiment se les faire enlever et que leurs partenaires payent la moitié. Cependant, il faut interroger sur ce que cela signifie. Pour qui s’épile t-on vraiment, surtout lorsque la question du partage du budget est mis sur la table ? Entre amour et pression sociale, souvent les deux, pourquoi se faire enlever les poils si son mec ne le fait pas ?
Lui, qui ne se pense pas comme bénéficiaire immédiat de ce retrait de poils puisqu’il reste poilu, est prêt à lui donner de l’argent, afin qu’elle assouvisse ce « besoin » féminin. Pourtant, c’est bien souvent pour le plaisir masculin que les poils s’évanouissent. Je ne dis pas que les femmes ne peuvent aimer avoir les jambes douces, je pointe simplement du doigt que payer la moitié de l’épilation de sa douce n’est pas un acte neutre, puisqu’en dessous se nichent des rapports de pouvoir.
Payer la moitié de l’épilation de sa bien-aimée, c’est un peu le « poilwashing » du good guy.
Il n’accepte pas les poils qui sont présents autre part que sur son propre corps, mais quand même, il ne va pas laisser sa moitié se ruiner pour se les faire enlever. En plus, il est bien content quand il rentre à la maison, de la retrouver douce et lustrée, entourée des effluves de cire chaude et sucrée.
Un peu comme lorsqu’on arrête de fumer, il faudrait faire une cagnotte avec tout l’argent qui n’a pas été mis dans l’épilation, afin de prendre conscience des sommes considérables que l’on pourrait économiser. On ira ensuite le dilapider dans nos prochaines vacances – celles dont on mettra des photos sur Instagram avec, en gros plan, nos jambes poilues sur une plage de rêve.
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