Il y a plus d’un an, j’écrivais sur la (très) problématique campagne publicitaire de la fameuse marque Le Temps des Cerises (juste ici). Premier article du site, il est assez court dans sa véhémence. Et, voilà qu’on en est toujours au même point, voire pire. Je suis tombée sur des affiches publicitaires de la marque qui clamaient en majuscules : LIBERTÉ, ÉGALITÉ, CENSURÉ. Ces lettres ont résonné comme un cri contre l’injustice, comme cet oncle énervé en bout de table qui hurle tout le temps qu’à cause des féministes, ces « féminazies », « on ne peut plus rien dire. »
Dans la campagne de 2019, la figure juvénile blonde se tient cambrée, nous présentant justement son fessier en plein visu, incarnant au plus haut point le « male gaze » sous les mots « LIBERTÉ, ÉGALITÉ, BEAU FESSIER ». Elle a été remplacée par trois affiches différentes. La première, montre des doigts féminins formant un coeur sur son fessier : » LIBERTÉ, ÉGALITÉ, SUBLIMÉ » qu’ils disent. La cambrure est moindre, le gros plan sur son fessier un peu moins. La deuxième, jambes féminines entourant des jambes masculines, comporte le fameux slogan » LIBERTÉ, ÉGALITÉ, CENSURÉ », tandis que la troisième tente le jeu de la parité en montrant un cul masculin enfourchant sa moto, sous les mots « LIBERTÉ, ÉGALITÉ, PASSIONNÉ ». Oui, vous avez bien lu, et vu. Les hommes toujours en action, passionnés, les femmes toujours en apparence, réduites au physique.

L’utilisation de la « censure » comme bouclier à la remise en question
C’est la deuxième affiche, qui parle de censure, qui devient problématique. Faisant référence aux bruits qu’ont fait certaines protestations féministes par rapport à « Liberté, égalité, beau fessier », cette affiche montre bien à quel point la marque est complètement à côté de la plaque. Encore une fois. Voici le début de leur pitch pour cette nouvelle campagne :
A l’aube d’une nouvelle décennie, elle marquait les esprits avec son slogan « Liberté, Egalité, Beau Fessier », s’inscrivant dans une époque plus libre et résolument « sans filtre », en opposition aux images lisses et sans relief.
Le Temps des Cerises, « Campagne 2020 », en ligne : https://www.letempsdescerises.com/blog/campagne-2020
C’est paradoxal quand on sait que la campagne de 2019 montrait un fessier féminin, retouché et « avec filtre », justement. Cette affiche d’indignation, pose vraiment question. Quel est le rapport entre accoler le mot « censuré » sur un fessier féminin, et une campagne de pub? Comment est-ce que ça permet de vendre ces jeans qui, je cite « subliment toutes les morphologies, des milleniales aux femmes plus matures » ? Où est la diversité des morphologies dans leurs campagnes ? Ces mannequins féminins ne dépassent sûrement pas une taille 34 dans leurs images.
Dénoncer le « politiquement correct » n’a rien d’un acte de bravoure
Cet acte de rébellion, ce soubresaut mécontent pose question quant à sa pertinence. Placarder partout ; sur les abribus, dans les posts d’instagram, en image de bannière du cite internet, que l’on a été « censuré », devient tout simplement risible. Pourquoi vouloir à tout prix montrer que l’on veut AUTANT le droit de parole ? Comme un enfant capricieux qui fait du bruit au fond de la classe, Le Temps des Cerises ne comprend pas pourquoi leur travail a été mis au coin.
Pourquoi se targuer d’être « rebelle, défiant les lois de la gravité et de la censure », quand on est tout sauf cela. Ce n’est pas de la rébellion mais du sexisme, ce n’est en rien un acte de résistance que de se mouler dans les codes patriarcaux. Cul féminin en gros plan, pas de visage, pas d’identité. Fessier bombée, meilleures ventes, c’est le combo gagnant utilisé par de nombreuses marques. Et, quelqu’un·e veut iel bien m’expliquer comment un jeans peut-il défier les lois de la gravité ?
Parce qu’il n’existe pas de passion sans risque, Le Temps des Cerises ose affirmer ses opinions et créer des campagnes qui bousculent les codes.
Le Temps des Cerises, Campagne 2020, en ligne : https://www.letempsdescerises.com/blog/campagne-2020
Quels sont exactement ces codes mis à mal ? Si l’on met de côté le sexisme de la mise en scène, qu’est-ce qui est bousculé dans le monde de la publicité ? Est-ce la pose cambrée, les fesses mises en avant, ou encore le fond blanc ? Les codes ont-ils été secoués dans tous les sens par la simple apposition des mots « beau fessier » avec la devise de l’état français ? Croire que c’est seulement cela qui a fait rugir les féministes – ces féminazies qui « se trompent de combat » -, c’est passer totalement à côté des combats des minorités politiques. Entre l’objectification du corps des femmes (encore) pour mieux vendre, et la juxtaposition des termes « égalité » et « beau fessier », le pitch de campagne montre bien que « les opinions » dont se targuent la marque, sont simplement sexistes. Rien de révolutionnaire, ou de rebelle là-dedans.

Scander partout, que l’on a été censuré, que c’est le « politiquement correct » qui les musèle, n’est que le reflet d’une position dominante qui ne veut pas descendre de son piédestal.
Les critiques féministes n’ont rien d’une censure doctrinale et arbitraire, et ne font en aucun cas partie d’un « politiquement correct » qui fait que « l’on ne peut plus rien dire ». Bizarrement, les seules personnes qui parlent encore et toujours de ce « PC » pour les intimes, sont celles qui sont dans une position privilégiée, qui connaissent pas, ou peu, de discriminations systémiques. Pleurer que l’on a été « censuré » montre bien l’ampleur de l’incompréhension et
Marterler que l’on ose « affirmer ses opinions » – qui ne sont que des opinions sexistes, d’un ancien monde qui commence lentement à changer sur certains points – et en faire une publicité, montre bien qu’on est encore bien enfoncé·e·s jusqu’au cou dans le patriarcat.
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