©Alexandra Rubinstein, Great American Nude, 40x68,5, huile sur toile

Alexandra Rubinstein, inversion du “male gaze”.

Mark, 2017, 12x12cm, huile panneau, mécanisme d’horloge. ©Alexandra Rubinstein

Les corps se dénudent et les peaux se dévoilent. Mais dans le travail d’Alexandra Rubinstein, ce ne sont pas les femmes qui posent telles des muses nues et lascives, ce sont les hommes.   Face à ces peintures à l’huile hyper réalistes, notre regard devient celui d’un·e voyeur·euse. On se retrouve presque obligé·e de scruter chaque parcelle de peau, chaque veine et  les aspérités de l’épiderme.  Avec ces corps musclés, bronzés et qui semblent parfois tout droit sortis de films pornos des années 80, l’artiste joue sur les présupposés sensuels qui entourent la notion de “beauté” dans la création artistique. 

Mais Alexandra Rubinstein renverse les codes. Dérangeants, troublants, outrageants ou encore comiques, ces gros plans font surtout réfléchir au “male gaze” omniprésent dans notre culture occidentale. Ce regard qui se veut être la neutralité n’est pas seulement le point de vue d’un homme, il  représente la vision d’un homme blanc hétérosexuel. Ici, ces hommes nonchalants deviennent objet du regard désirant de la femme peintre et des regardeuses. Toutes les conventions picturales autour de la femme inspiratrice, dénudée et voluptueuse se retrouvent inversées.

A Treachery, 2018, 16x 22, huile sur toile, ©Alexandra Rubinstein

Comme le dénonce si bien le collectif Guerilla Girls, les femmes sont belles et bien présentes dans les collections d’art moderne mais elles le sont, en très grande majorité, nues en tant que modèles. Les artistes femmes sont peu présentes. Ainsi, que ce soit les nombreuses Vénus peintes au fil des siècles ou encore les Odalisques d’Ingres ; la représentation du corps des femmes devient le reflet des fantasmes masculins. Plus pulpeuses, plus délicates, avec une peau parfaite signe de leur sainteté mais en même temps symbole d’une sensualité palpable ; toutes ces représentations sont passées par le filtre du “male gaze”. Généralement soumises au regard désirant hétérosexuel, ces femmes sont modelées au gré de leur pinceau, créant un rapport de pouvoir asymétrique. 

David, série I Get if for the Articles, 2016 12×20, huile sur toile, ©Alexandra Rubinstein

Cependant, Alexandra Rubinstein joue avec ces codes picturaux pour les dénoncer en exacerbant au maximum ce “female gaze”. Soumis au regard désirant d’une femme hétérosexuelle, ces hommes deviennent de simples corps contemplés servant à assouvir l’appétit féminin. Le rapport de force s’inverse ; celle qui peint et celles qui regardent deviennent consommatrices et actives dans leur désir. Sans visage et sans identité ; notamment dans la série I Get it for the Articles (2016), ces playboys vintage incarnent une idée différente des stéréotypes qui entourent la masculinité : vulnérables et non agressifs ils restent tout de même masculins et attirants, comme l’explique l’artiste.

Greg, 12×16,5 cm, Huile sur toile, ©Alexandra Rubinstein

Ces hommes vont même jusqu’à se transformer en de véritables objets, comme on le voit avec la série Thirsty (2016), puisque l’Alexandra Rubinstein remplace leur sexe par des décapsuleurs. Le corps féminin habituellement utilisée à des fins décoratives et commerciales devient maintenant actif et consommateur dans son désir sexuel. Le “female gaze” est poussé dans les mêmes retranchements que le “male gaze”, exhibant ainsi les rapports de pouvoir qui se jouent dans le désir hétérosexuel. La soif au début métaphorique du désir ardent féminin, devient littérale. Mais cet humour cru et la nudité qui lui est associée, ne sont pas les seuls facteurs à prendre en compte pour comprendre pourquoi les peintures d’Alexandra Rubinstein peuvent être décriées. 

The Origin of Entitlement, 18x22cm, huile sur toile, ©Alexandra Rubinstein

Ce qui dérange véritablement c’est que ces sexes masculins sont peints par une femme. Symboles de son désir sexuel et de sa volonté de rejeter les stéréotypes de la sexualité féminine hétérosexuelle ; l’artiste explique qu’il est inconcevable pour une artiste de peindre de tels sujets. Pourtant, les poses adoptées par ses modèles masculins se retrouvent très facilement dans les peintures produites par des artistes masculins, comme le montre la comparaison entre L’origine du monde de Courbet (1866) et The Origin of Entitlement de Rubinstein. Aux femmes la procréation ; aux hommes la domination. Le·la spectateur·trice ne sourcille plus (trop) devant ces cuisses féminines entrouvertes alors que cet sexe masculin au repos peut mettre mal à l’aise par sa frontalité. Et c’est justement cela que veut provoquer l’artiste.  

L’origine du monde, Courbet, 1886, Musée d’Orsay

Tout en dénonçant le “male gaze” omniprésent dans la culture, elle veut remettre en question les réactions face à ses peintures. Pourquoi la nudité masculine peinte par une femme fait-elle plus réagir que l’inverse ? L’artiste explique que c’est dû non seulement au stéréotype d’une sexualité féminine passive mais également au fait qu’il y a une censure qui entoure la représentation du sexe masculin qui n’est donc pas assez vu. Ainsi, réifier les hommes en objet sexuel permet de mettre en perspective cette notion de “beauté” dans l’art qui promeut le corps féminin nu comme seul source de joie visuelle. Mais l’artiste, par ces peintures hyper-réalistes et frontales  déconstruit les attentes de la sociétés vis à vis de la sexualité des femmes.

Rad, 2018, 30x48cm, huile sur toile, ©Alexandra Rubinstein
Emma

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